top of page
Rechercher
Juliana LC

La psychothérapie et les femmes noires

Dans une entrevue diffusée le 6 novembre 2020 sur sa chaîne YouTube, la psychologue et professeure Valeska Zanello a interrogé la psychologue Marizette Gouveia-Damasceno, toutes deux brésiliennes, sur l'invisibilité du racisme dans la psychothérapie.


Il est essentiel de rappeler que le Brésil compte une population noire représentant 54 % de sa population, dont l'histoire est profondément marquée par près de quatre siècles d'esclavage des personnes noires, provenant de différentes régions d'Afrique. Le pays a été le dernier des Amériques à abolir l'esclavage, mais cette abolition s'est faite sans aucune politique de réparation, que ce soit par la distribution des terres, l'accès garanti à l'éducation, la législation, le logement ou l'infrastructure (Zanello, 2020).


Les lieux de déresponsabilisation et de faible prestige entraînent des souffrances psychologiques et sont corrélés (rendus vulnérables) aux troubles mentaux courants, qui semblent être plus récurrents - et non sans raison - chez les femmes noires (Zanello, page 53). Même après l'abolition de l'esclavage, la mentalité de la population blanche brésilienne est demeurée imprégnée de conceptions esclavagistes, comme en témoigne l'augmentation de la violence à l'encontre des femmes noires, particulièrement exacerbée après la pandémie de Covid-19.


Le racisme est une forme d'oppression, d'agression et de violence qui affecte directement et indirectement la santé mentale des personnes noires. Des études suggèrent un lien entre le racisme et la santé physique/mentale qui semble se poursuivre tout au long de la vie de la personne qui est/était la cible du racisme. Les symptômes physiques et mentaux associés sont nombreux : tachycardie, hypertension, ulcères gastriques, anxiété, crises de panique, dépression, difficultés à s'ouvrir, accès de colère violente et apparemment non provoquée, identité compromise et image de soi déformée (Zanello, 2020).


Les femmes noires sont confrontées à différentes formes de discrimination qui vont au-delà de la race et du sexe. Selon Lépinar et Lieber (2020), cette discrimination est enracinée dans un système d'oppression hiérarchique historiquement ancré dans le patriarcat, le capitalisme, le racisme systémique, l'hétérosexisme, l'agisme, le handicap, l'origine géographique et la génération.


L'intersectionnalité, selon Crenshaw (2021), est un concept théorique développé pour comprendre et analyser ces différentes formes de discrimination et d'oppression. Elle reconnaît que les individus peuvent être touchés par de multiples formes de discrimination en raison de différents aspects de leur réalité. Par conséquent, l'intersectionnalité apporte des nuances cruciales à la compréhension de la souffrance psychique, qui doivent être prises en compte dans toute intervention en santé mentale et/ou psychosociale (Fanon, 2008).


Certains courants de la psychologie pensent le sujet comme universel, blanc, reproduisant une logique colonialiste qui invisibilise les souffrances et les violences subies par les femmes noires. La psychiatrie est restée un enfant bâtard car, incapable de trouver une causalité certaine aux maladies de l'âme, elle s'est de plus en plus fixée sur une pratique de description et de classification des pathologies supposées, et cette classification s'est souvent appuyée sur des valeurs morales (Zanello, page 21), la construction de cette morale a été le fait d'une majorité d'hommes blancs tout au long de l'histoire.


Showalter (1987) souligne cependant que ce sont surtout les voix des femmes qui ont été réduites au silence et que l'histoire de la psychiatrie est l'histoire des discours des psychiatres masculins sur les femmes « folles ». L'asile, en tant que maison du désespoir, doit être compris comme un symbole de toutes les institutions créées par les hommes, du mariage à la loi, qui ont confiné et enfermé les femmes et les ont rendues folles.


Figure 1 : La leçon clinique du Dr Charcot (1887), de Pierre André Brouillet Charroux. Image classique des leçons de Charcot sur l'hystérie. On remarque que tous les observateurs, spécialistes, sont des hommes et que l'objet étudié est une femme.


Cette vision dominante, partielle et perverse, qui vise à maintenir les relations de pouvoir, met l'accent sur le dualisme, la séparation et l'abstraction, en ignorant les expériences réelles que les femmes noires vivent au quotidien (Lépinar et Lieber, 2020).


Ma réflexion se base sur le constat que la psychologie colonisée ne traite pas les maux causés par les maladies sociales inhérentes à l'intersectionnalité. Les théories psychologiques euro-américaines, hégémoniques et universalisantes traitent ceux qui sont différents comme égaux, caractérisant la violence comme institutionnelle, parce qu'elles sont encore basées sur des théories créées par des hommes blancs. La formation universitaire devrait intégrer de manière proactive les questions intersectionnelles à travers l'apprentissage, la théorie, la recherche et la pratique, à tous les niveaux institutionnels.


Conclusion

Le racisme et le sexisme sont des formes d'oppression interconnectées qui exacerbent les souffrances des femmes. Comme le souligne Zanello, l'intersectionnalité est un concept crucial pour comprendre et analyser ces différentes formes de discrimination et d'oppression. En intégrant pleinement les perspectives intersectionnelles dans la pratique de la psychologie et de la santé mentale, il devient possible de reconnaître et de traiter de manière plus efficace les expériences spécifiques des femmes noires, en tenant compte de leurs multiples identités et des systèmes de pouvoir qui les influencent.


Pour créer des environnements plus inclusifs et équitables, il est impératif que la formation universitaire en psychologie intègre de manière proactive les questions intersectionnelles à tous les niveaux. Cela implique un engagement profond à remettre en question les normes et les pratiques existantes, à amplifier les voix des femmes et à reconnaître l’intersectionnalité dont elles sont soumises. En reconnaissant et en abordant ces réalités, nous pouvons progresser vers des pratiques plus justes et plus respectueuses dans la société.


Bibliographie:


Crenshaw, K. (2021). Sortir des marges de l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe Noire de la doctrine antidiscriminatoire, de la théorie féministe et de la lutte antiraciste. https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2021-1-page-21.htm


Fanon, F. (2008). Pele negra máscaras brancas. Salvador, BA : EDUFBA. https://doi.org/10.7476/9788523212148


Gouveia-Damasceno, M. et Zanello, V. (2019). Psicoterapia, raça e racismo no contexto brasileiro: experiencias e percepções de mulheres negras. Psicologia em Estudo, 24. https://doi.org/10.4025/psicolestud.v24i0.42738


Rodrigues, L. (2023). Homicídios crescem para mulheres negras e caem para não negras. Agência Brasilhttps://agenciabrasil.ebc.com.br/geral/noticia/2023-12/homicidios-crescem-para-mulheres-negras-e-caem-para-nao-negras


Zanello, W. (2020, 6 nov.). Entrevue par Valeska Zanello avec Marizete Gouveia-Damasceno. Dans YouTube https://www.youtube.com/watch?v=YV6pcNHkBek&ab_channel=ValeskaZanello


Écrit par Juliana Lopes de Camargo


3 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page